CHAPITRE
II
ETYMOLOGIE
ET LITTERATURE
On trouve le mot kerouv, kerouvîm
91 fois dans l'Ancien Testament, 27 fois au singulier et 64 fois au
pluriel. Au singulier, c'est toujours la forme pleine qui est
employée. Au pluriel par contre, nous trouvons 35 formes pleines
et 29 formes défectives. De plus, nous pouvons encore
mentionner un nom de lieu, en
Babylonie, du nom de Kerouv
(Esd 2:59 ; Né 7:61).
Le terme
français chérubin n'est qu'une transcription de la forme
plurielle hébraïque kerouvîm.
Les traducteurs de la LXX ont eu recours au même
procédé en transcrivant cheroubim,
forme que l'on retrouve en Hébreux 9:5, seule présence du
terme dans le Nouveau Testament. Il s'agit donc d'un terme technique
qui n'a pas trouvé d'équivalent dans les langues de
traduction, contrairement aux autres parties de l'Arche.
Les recherches
étymologiques ont donné naissance à de nombreuses
hypothèses quant à l'origine du terme kerouv.
Une hypothèse
qui a retenu l'attention de beaucoup d'exégètes
consistait à chercher l'origine de kerouv hors
des langues sémitiques. C'est alors des griffons des Perses, grups
en grec, que le terme dériverait. Cette hypothèse est
aujourd'hui écartée, et les recherches
étymologiques se tournent prioritairement vers les langues
sémitiques.
1.
Hébreu
Bien que le substantif kerouv
soit d'apparence très normale, du même thème que gedoul,
zemoul ou rekouv
il n'y a aucune racine krv
attestée ailleurs dans l'hébreu biblique.
Certains ont
proposé d'y voir une métathèse de rekouv,
"monture" (Ps 104:3, cf. Ps 18:11). Mais rekouv
est un terme connu, dont la racine est claire et confirmée par
ses parallèles assyriens rukûbu
("véhicule, monture") et rakâbu
("aller en véhicule, chevaucher"). De plus, quand le psalmiste
parle de la monture de Yahvé, il utilise bien rekouv
(cf. Ps 54:3). Cette hypothèse ne peut donc être
retenue.
On a proposé de
rapprocher kerouv et qerov,
le chérubin serait alors "celui qui est près de Dieu".
Mais ce rapprochement est gratuit. Nous ne portons pas plus de
crédit à la proposition des rabbins talmudistes qui
lisaient kerabya', "comme un
enfant". Ainsi les chérubins auraient-ils eu l'apparence d'un
jeune enfant.
2.
Akkadien
En akkadien, karâbu
signifie "prier, bénir, saluer
(une personne), adorer (une divinité ou une personne), promettre
ou offrir un sacrifice". Le verbe est courant dans les salutations
épistolaires. kâribu,
féminin kâribtu,
"celui qui bénit" et kurîbu
sont des dérivés intéressants. Ils
décrivent, souvent pour le premier, toujours pour
le dernier, des images cultuelles.
J. TRINQUET mentionne
trois textes qui, selon lui, explicitent la nature
et la fonction du kâribu.
(1) Une chronique religieuse de Nabû-mukîn-apli
de Babylone, vers 990-955 av. J-C, parle du dieu kâribu
qui se trouve à droite de la porte du naos. (2) Sur des briques
du roi élamite Teptiahar, vers 900 av. J-C, on peut lire une
inscription où il est question de la-ma-az-za-a-ti
(génies féminins) et de ka-ri-ba-a-ti
(féminin pluriel de kâribu)
qui prient (i-ka-ra-ab-ba).
Sans doute s'agit-il de l'évocation de statues disposées
à l'entrée d'un sanctuaire
d'un temple de Suse. (3) Un texte d'Asharaddon, vers 681-669 av. J-C,
mentionne des dieux lahme et
des dieux kurîbi
dressés des deux côtés de l'entrée du
naos.
Dans ces textes, kâribu
et kurîbu
désignent bien des images ou des statues représentant des
divinités secondaires. Mais FREEDMAN et O'CONNOR
précisent que dans de nombreuses inscriptions d'Asharaddon des kurîbu
sont mentionnés à côté de nombreuses autres
images d'apparence fort diverses (lions, oiseaux, peut-être
dauphins), ce qui ne permet aucune conclusion sur l'apparence du kurîbu.
Un autre texte,
d'Assur, datant du milieu du VIIe siècle, relate une
vision des enfers reçue par un prince assyrien. Au
milieu de toute une série d'êtres hybrides apparaît
Namtartu (la concubine de Namtar le vizir des enfers) avec
une "tête de kurîbu",
des mains et des pieds humains. Cette dernière précission
pourrait indiquer que l'apparence générale du kurîbu
était animale, sans qu'on puisse préciser
de quel animal il s'agissait.
Sur la base de tels
textes, J. TRINQUET et P. DHORME associent très
étroitement lamassu et
kurîbu. En
ce dernier il faudrait alors reconnaître le kerouv
biblique . FREEDMAN et O'CONNOR contestent cette association. Pour eux,
le texte des briques du roi élamite Teptiahar, qui opère
ce rapprochement, est atypique et mentionne d'autres images cultuelles
et pratiques qui ne sont pas attestées ailleurs. Selon eux, lamassu
et kurîbu n'ont en
commun que leur utilisation pour décrire des images
cultuelles.
3.
Ancien arabe du sud
En ancien arabe du sud
nous trouvons le verbe krb
"vouer, consacrer, offrir un sacrifice" et le nom krb
"sacrifice, offrande" ainsi que krbt
"bénédiction". C'est une racine très courante dans
l'onomastique ancienne sud-arabique : G.L. HARDY dans son Index
and Concordance of Pre-islamic Arabian Names and Inscriptions
recense plus de 40 noms différents. Nous trouvons encore
l'éthiopien mekwerab
"temple, sanctuaire" et kwerbat "amulette".
Tous ces termes se trouvent donc dans la sphère cultuelle,
exprimant un acte religieux, un lieu sacré ou un objet
rituel.
4.
Autres langues sémitiques
La racine
araméenne et syriaque krb
"labourer" a parfois été évoqué. Le kerouv
serait alors le "laboureur" c'est-à-dire le boeuf qui tire la
charrue. Ez.10:14 est parfois invoqué comme appui de cette
thèse puisqu'une "face de chérubin" remplace la "face de
taureau" d'Ez.1:10. P.DHORME estime toutefois que si ce texte peut
prouver que le prophète pouvait prêter au chérubin
une forme bovine, il ne donne pas pour autant au kerouv
le sens de boeuf. Même si le terme signifiait "laboureur", il
aurait été une image poétique pour désigner
le taureau en rapport avec un travail qui lui est propre. DHORME estime
cette étymologie trop précaire pour être
gardée.
En Ougaritique, la
racine n'est pas attestée. FREEDMAN et O'CONNOR estiment que
l'existence de krb dans le
sens de "dédier" en Phénicien, proposée par P.
GRELOT, est douteuse. Ils citent toutefois un texte punique de
Sainte-Monique, endommagé, qui comporte sans doute le mot kerouvim.
Trinquet, citant
Bonkamp, propose encore une origine sumérienne composite : KU+
RIB, qui signifierait "vainqueur d'un adversaire fort et violent",
"combattant victorieux". En rapprochant cette forme sumérienne
de l'akkadien kâribu,
une étymologie populaire se serait formée. Par
déplacement de voyelles, kâribu
serait devenu kerouv en
hébreu.
Conclusion
Les recherches
étymologiques ne permettent pas de jeter une lumière
décisive sur les chérubins. Si l'on peut affirmer avec
une assez grande certitude que les kerouvim
trouvent leur origine dans une racine krb
sémitique, il est difficile d'en dire plus. Le nom de lieu Kerouv,
en Babylonie, peut confirmer cette origine sémitique. Nous
pouvons déclarer avec RINALDI que le nom hébreu reprend
sans doute un nom "cananéen" que nous ne connaissons pas. Tout
au plus pouvons-nous noter que la parenté du terme kerouv
avec ses cousins sémitiques semble impliquer, par le biais des
termes akkadiens, une utilisation dans un contexte religieux, et
particulièrement pour des images ou des statues.
|