Les chérubins bibliques



Sommaire du mémoire

Introduction

Chapitre I :
Brève histoire de l'interprétation

Chapitre II :
Etymologie et littérature

Chapitre III :
Iconographie du Proche-Orient ancien

Chapitre IV :
Les chérubins dans la Bible

1. En Eden
2. Dans le tabernacle et le temple
3. L'expression yoshev hakerouvim
4. Dieu, monté sur un chérubin

5. Dans les visions d'Ezéchiel
6. Les séraphins d'Es 6 et les êtres vivants d'Ap 4

Chapitre V :
Synthèse et conclusion

Bibliographie


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CHAPITRE IV
LES CHERUBINS DANS LA BIBLE


 Nous proposons de regrouper les différents textes bibliques parlant des chérubins en cinq groupes : 

1. En Eden : Gn 3:24 et Ez 28:14-16. 
2. Dans le tabernacle et le temple
- au-dessus de l'arche : Ex 25:18-22 ; 37:6-9 + Nb 7:89 ; 2 S 6:2 ; Hb 9:5. 
- brodé dans le tabernacle : Ex 26:1,31 ; 36:8,35. 
- deux grands chérubins du temple : 1 R 6:23-28 ; 1 R 8:6-7 ; 2 Ch 3:10-13 ; 5:7-8. 
- gravé sur les parois du temple : 1 R 6:29-35 ; 2 Ch 3:7. 
- gravé sur les bases de bronze : 1 R 7:29,36 + cf. 1 Ch 28:18. 
- sur le voile entre le lieu saint et le lieu très saint : 2 Ch 3:14. 
3. Dans l'expression yoshev hakerouvim : 1 S 4:4 ; 2 R 19:15 ; 1 Ch 13:6 ;  Ps 80:2 ; Ps 99:1 ; Es 37:16. 
4. Dieu, chevauchant un chérubin : 2 S 22:11 = Ps 18:11. 
5. Dans les visions d'Ezéchiel : Ez 1 ; 10 ; 41:18-25 + 9:3 ; 11:22. 

 Notre démarche correspondra au but que nous nous fixons pour ce chapitre : relever ce que la Bible nous apprend sur la fonction, l'apparence et la nature des chérubins. Nous ne ferons pas une exégèse détaillée de tous ces textes bibliques, mais nous nous centrerons sur ce qui peut nous éclairer sur les trois aspects évoqués ci-dessus. De plus, nous ne négligerons pas de tracer à l'occasion, des parallèles avec les découvertes archéologiques. 

1. En Eden

 C'est en Genèse 3:24 qu'apparaissent pour la première fois les chérubins dans la Bible. De plus, quelle que soit la lecture que l'on adopte en Ezéchiel 28:14-16, le lien avec Eden est explicite, au verset 13. C'est pour cette raison que nous avons rassemblé ces deux textes dans le même groupe. 

a. Genèse 3:24

 La fonction des chérubins ici est la seule indication explicite qui nous soit donnée sur eux : lishmor 'et derekh 'ets haHayim  "pour garder le chemin de l'arbre de la vie". Les chérubins sont donc ici des gardiens, associés à l'arbre de la vie. Voilà qui nous rappelle deux thèmes abondamment illustrés dans l'iconographie du Proche-Orient ancien. 

 Une des fonctions associées aux sphinx était celle de gardien, à l'entrée des palais ou des sanctuaires. Remarquons toutefois qu'il n'est pas question, du moins explicitement, de "portes du jardin" dans notre texte, bien que la tâche des chérubins est d'interdire l'entrée dans le jardin. Il n'est pas non plus spécifié le nombre des chérubins, alors que les sphinx gardiens allaient par paire. De plus, la fonction de gardien ne semble pas être exclusivement associée aux sphinx, ou aux quadrupèdes. Bien qu'il soit difficile de connaître précisément la fonction de tous les êtres hybrides du Proche-Orient ancien, il semble bien que les bipèdes ailés aussi aient pu avoir une fonction protectrice de gardien, en ombrageant une image de leurs ailes. 

 La garde de l'arbre de la vie rappelle le thème de l'arbre sacré, entouré par des créatures hybrides, bipèdes ou quadrupèdes. La diversité des créatures entourant l'arbre sacré dans ces représentations ne permet pas d'identifier les chérubins de Genèse 3 à un type spécifique d'être hybride. Peut-être la fonction de gardien d'une netrée peut-elle faire pencher plutôt en faveur des quadrupèdes. Dans ce cas, la peinture dite de l'Investiture de Mari pourrait être une illustration intéressante. Nous avons déjà évoqué les parallèles qu'André Parrot a tirés entre cette fresque et le récit biblique des origines. 

 En faveur d'une apparence proche de celle du sphinx, Franz Landsberger mentionne encore qu'en tant que gardiens, les chérubins devaient être particulièrement forts et effrayants, un lion ailé à tête humaine aurait sans doute eu un tel effet. Remarquons toutefois qu'un être d'apparence humaine, peut-être rehaussé d'ailes, peut être tout aussi impressionant, surtout si sa taille est inhabituellement grande... 

 Un autre élément de notre texte mérite d'être relevé : "la flamme de l'épée qui tournoie" (lahath haHerev hammithapekhet). Contrairement à une opinion ancienne, il ne s'agit pas d'une épée brandie par les chérubins, mais d'un élément autonome, préposé comme les chérubins à la garde du chemin qui mène à l'arbre de la vie. 

 C.F. Keil et F. Delitzsch proposent de voir dans cette flamme le symbole du feu dévorant de la colère divine. Henri Blocher suit une interprétation similaire en proposant d'y voir l'image de la justice et de la sainteté de Dieu, à l'oeuvre dans ses jugements. Il mentionne également l'interprétation courante selon laquelle nous avons là une représentation de l'éclair, symbole de l'anathème divin chez les Assyriens. Cette compréhension de la flamme comme représentation de l'éclair a permis à certains commentateurs de rapprocher les chérubins des nuages d'orage ou des vents. 

 Ronald Hendel propose une interprétation originale de cette épée. Selon lui, il s'agirait d'un être divin flamboyant, du même type mythologique que les chérubins, au service de Yahvé. 

 Ces quelques remarques sur la flamme de l'épée tournoyante révèle le problème de la nature des chérubins : s'agit-il de créatures, réelles ou mythologiques, ou de symboles ? La réponse à cette question est largement conditionnée par le regard que l'on pose sur les premiers chapitres de la Bible. Ainsi, Henri Blocher considère-t-il les chérubins comme de simples symboles, au même titre que les arbres du jardin par exemple. C'est une démarche que Luther, ou Lesêtre, ne peuvent adopter. Selon eux, les chérubins de Genèse 3 ne peuvent être que des anges. 

 Rappelons enfin l'interprétation de Hendel : allant de pair avec sa compréhension de la flamme de l'épée, les chérubins sont des créatures mythologiques. 

 En bref, la fonction des chérubins de Genèse 3 est clairement attestée : ils sont des gardiens. Par contre, on ne trouve rien d'explicite quant à leur apparence. Tout au plus pourrait-on penser prioritairement au type du sphinx, à cause de leur fonction de gardien d'une entrée. Mais il nous semble plus sage de rester indécis quant à leur apparence... Enfin, le débat reste ouvert au sujet de leur nature (créature réelle, créature mythologique ou symbole), et la réponse à cette question dépend d'une réflexion plus globale, sur les anges ou sur le genre littéraire des premiers chapitres de la Genèse. 
 

b. Ezéchiel 28:14-16

 Nous trouvons dans les versets 14 et 16 un important problème de critique textuelle. Au verset 14, le TM a 'at kerouv, "toi, chérubin", alors que la note a de la BHS signale que la LXX comporte meta tou cheroub, "avec le chérubin", leçon que la Syriaque confirme. En conséquence, l'éditeur de la BHS propose de lire 'et kerouv

 Notons tout d'abord que le poids des témoins est sensiblement identique pour les deux leçons, TM d'un côté, LXX et Syriaque de l'autre. De plus, ce n'est que la vocalisation qui change, aucune consonne n'est ajoutée ou retirée. Toutefois, la modification de sens est importante. Dans un cas (TM), le destinataire de la complainte est identifié, ou comparé, à un chérubin, dans l'autre cas (LXX et Syriaque), le destinataire de la complainte est accompagné par un chérubin. Ces versets ne parle donc qu'indirectement des chérubins, en guise d'image pour le prince de Tyr. La référence au récit du paradis, explicite au verset 13, nous fait penser qu'il est peu probable que nous trouvions des éléments fondamentalement nouveaux par rapport à ceux récoltés dans l'étude de Genèse 3:24. 

 La forme 'at est tout à fait inhabituelle pour le pronom masculin singulier, attestée seulement en Nombres 11:15 et Deutéronome 5:27. La Lectio difficilior appartient au TM. 

 Si on favorise la leçon de la LXX, un autre changement par rapport au TM est alors nécessaire (note c de l'apparat critique de la BHS) : ounetattîkha devient netattîkha, le vav disparaît. Dans le TM, le verbe être est sous-entendu, alors que dans l'autre leçon, 'et kerouv devient relatif à netattîkha. De cette façon, comme le mentionne Leslie Allen, la construction des phrases au verset 14 suivrait toujours le même schéma, le verbe étant placé à la fin dans tous les cas. Ceci pourrait plaider en faveur de la leçon de la LXX. 

 D'un autre côté, van Dijk met en évidence une similarité stylistique des versets 12-13 avec le verset 14 qui, selon lui, plaide fortement en faveur de la vocalisation du TM. Cette remarque sur la structure nous paraît plus concluante que la proposition de Allen. 

 De plus, Barthélémy se prononce en faveur du TM, avec la lettre B (grande probabilité avec une certaine marge de doute). La LXX aurait opéré un remaniement de tout le verset 14 pour faciliter l'interprétation du TM. 

 La note d de l'apparat critique de la BHS pour le verset 16 mentionne que nous trouvons dans la LXX kai 'êgage se "et il t'a chassé". Peut-être faut-il lire, selon l'éditeur de la BHS, vaye'ibêdekha, un inaccompli piel avec vav inversif (ce qui implique peu de changement de vocalisation mais l'ajout d'un yod), alors que d'autres proposent de lire ve'ibadekha, un accompli piel avec vav consécutif (ce qui n'implique aucun changement de consonne mais une vocalisation différente). Il est à noter que cette leçon n'est soutenue que par la LXX et qu'elle est entièrement dépendante du verset 14. C'est pourtant celle qui est considérée comme la plus ancienne par la majorité des commentateurs modernes, de toutes tendances. Plusieurs commentateurs préfèrent tout de même la leçon du TM, en vertu de leur choix au verset 14. 

 La leçon du TM nous paraît donc devoir être retenue. En effet, elle a la lectio difficilior en sa faveur et elle permet au verset 14 de mieux s'insérer structurellement dans le contexte immédiat (c'est l'argument de van Dijk). Le choix du TM au verset 16 dépend de notre choix au verset 14. 

 Pour une meilleure compréhension de ces versets, nous porterons encore notre attention sur l'arrière-plan de la complainte contre le roi de Tyr. La référence au jardin d'Eden (v.13) renvoie explicitement à Genèse 3. Quelques points de contact sont clairement établis : le nom "Eden", sa désignation comme jardin de Dieu, la présence de pierres précieuses, une perfection première (v.12), suivie d'un péché (v.16a) et d'une sentence d'exclusion (v.16b), la présence, d'une manière ou d'une autre, d'un chérubin. Mais en même temps, nous nous trouvons confronté à plusieurs divergences : dans la complainte d'Ezéchiel, il n'y a pas d'arbre ni de fruit défendu, pas de serpent, pas de femme. 

 A cause de ces différences, il a été proposé de voir dans l'oracle d'Ezéchiel 28 une version plus mythologique du récit de Genèse 3, peut-être issue d'une tradition parallèle. Par exemple, John van Seters propose que cette complainte trouve son origine dans la mythologie babylonienne. Selon lui, il est clair que derrière Genèse 3, Psaume 8 et Ezéchiel 28, il y a deux conceptions de la création : la création de l'humanité pour effectuer les durs travaux des dieux, et la création du roi qui dirige le peuple, être supérieur et agent des dieux. C'est de cette deuxième conception qu'Ezéchiel aurait tiré son oracle. 

 Devant les difficultés à concilier le texte de Genèse 3 avec celui d'Ezéchiel 28, certains ont proposé un parallèle avec le Temple de Jérusalem. Le chérubin dont il est question serait alors un des deux chérubins sculptés dans le temple de Salomon. Il est important de remarquer, comme le fait Barthélémy, que l'adjectif hassokhekh offre plus d'analogie avec les ailes déployées des chérubins protégeant l'arche dans le tabernacle et le temple, qu'avec les chérubins de Genèse 3:24 qui interdisaient l'accès à l'arbre de la vie. Toutefois, McKenzie souligne bien que la complainte d'Ezéchiel a globalement plus de points de contacts avec le récit du jardin d'Eden qu'avec n'importe quel autre texte biblique ou récit mythologique connu. Ceci d'autant plus qu'il y a une référence explicite au récit du paradis (v.13). 

 Nous pensons donc, avec Brian Tidiman, qu'il est préférable de voir dans ce texte une libre adaptation, pour des besoins particuliers, d'un récit déjà connu, en l'occurrence celui de Genèse 3, ne retenant que les éléments qui sont utiles au prophète pour le but qu'il poursuit. De plus, sa description du chérubin reflète la représentation traditionnelle de ces êtres, dans le temple au-dessus de l'arche. Ceci n'exclut pas qu'il ait pu y avoir certains emprunts aux mythologies environnantes. 

 Dans le récit de Genèse 3, les chérubins n'interviennent pas avant la faute, comme compagnons de l'homme (comme le voudrait la leçon de la LXX). C'est après le péché, comme gardiens de l'accès à l'arbre de la vie qu'ils interviennent. Le problème dans la complainte d'Ezéchiel 28, c'est que le chérubin est évoqué avant même l'expulsion du jardin d'Eden. Le prince de Tyr ne peut donc pas être comparé à l'un des chérubins gardiens de Genèse 3. 

 Il nous semble que le problème se résoud si l'on considère que le prince de Tyr est comparé au premier homme, lui-même étant comme un chérubin protecteur (cf. Gn 2:15 "garder le jardin"). Dès l'expulsion de l'homme, ce sont les chérubins gardiens qui remplirent la fonction qui lui était attribuée originellement, garder le chemin de l'arbre de la vie. 

 Le prophète s'étant inspiré de Genèse 3 pour son oracle, nous ne pourrons pas récolter beaucoup d'informations nouvelles sur les chérubins bibliques. Notons toutefois que l'expression du verset 14 kerouv hassokhekh "chérubin protecteur", qui évoque la fonction protectrice dse chérubins sculptés au-dessus de l'arche, peut confirmer la fonction de gardien des chérubins, déjà présente en Genèse 3:24. 

 Henri Blocher propose encore une fonction "d'exécution judiciaire" pour les chérubins. Cette conclusion n'est possible que si l'on retient la leçon de la LXX. Et même dans ce cas, il nous semble que ce seul verset ne saurait suffir à attribuer aux chérubins une telle fonction. En effet, comme nous l'avons déjà remarqué, en Genèse 3 c'est Dieu lui-même qui chasse l'homme et la femme du jardin, les chérubins n'interviennent qu'ensuite, pour leur en interdire le retour. 

 En bref, la complainte contre le roi de Tyr, parce qu'elle ne parle qu'indirectement des chérubins, ne nous permet pas d'apporter de véritables nouveaux éléments au débat sur les chérubins bibliques. Ce qui nous est dit des chérubins découle d'éléments empruntés au récit de Genèse 3 et aux représentations présentes dans le temple.