CHAPITRE
V
SYNTHESE
ET CONCLUSION
1.
Synthèse : que sont les chérubins ?
Au terme de notre
étude il est temps de faire une synthèse de tous les
éléments que nous avons recueilli, en particulier dans
notre chapitre sur les textes bibliques. Cette synthèse nous
permettra de répondre à la question qui fait l'objet de
notre travail : que sont les chérubins ? Nous reprendrons les
trois mêmes caractéristiques qui ont présidé
à notre étude des textes bibliques : l'apparence, la
fonction et la nature des chérubins.
a.
l'apparence des chérubins
Les textes bibliques
nous montrent que l'apparence des chérubins est variable. Il
s'agit soit de quadrupèdes (p.ex. dans le temple) soit de
bipèdes (p.ex. dans le tabernacle), avec pour ces derniers une
variante complexe dans les visions d'Ezéchiel. Le
chérubin biblique ne peut donc pas être assimilé au
seul sphinx ailé.
Malgré ces
différences notables, nous pouvons relever deux constantes dans
l'apparence des chérubins bibliques. Tout d'abord, il s'agit
toujours d'êtres hybrides,
mêlant des traits humains à des traits animaux.
De plus, les chérubins ont toujours des ailes. Les
ailes peuvent d'ailleurs être le seul attribut animal
du chérubins (c'est probablement le cas des chérubins
du tabernacle).
Il est à noter
que ces deux caractéristiques distinguent les chérubins
des anges. En effet, dans la Bible les anges apparaissent sous une
forme humaine (cf. p.
ex. Gn 18:2) et n'ont jamais d'ailes. Daniel 9:21 semble
toutefois attribuer à l'ange Gabriel la capacité
de voler. L'expression mou'aph bî'aph
est habituellement traduite "d'un vol rapide" (Colombe, TOB,
Français courant...). Mais on peut aussi analyser cette
expression en faisant dériver les deux termes du verbe ya'aph,
"être fatigué". Le sens de l'expression
serait donc "fatigué de fatigue" ou "tout essoufflé"
(Rabbinat français). La fatigue peut être la
conséquence d'un vol ou d'une course. L'expression
n'implique pas nécessairement la présence d'ailes
sur l'ange Gabriel.
Voici donc tout ce que
l'on peut dire de l'apparence des chérubins bibliques : ce sont
des êtres hybrides mêlant des traits humains à des
traits animaux, et toujours munis d'ailes.
b. la
fonction des chérubins
Il apparaît que
les chérubins bibliques ne remplissent pas toujours la
même fonction. On en distingue deux principales : (1) une
fonction protectrice, de gardien
(les chérubins en Eden et au-dessus de l'arche, dans
le tabernacle et le temple) ; (2) une fonction de porteurs
de Dieu, de son trône (le chérubin que Dieu
chevauche et ceux des visions du trône d'Ezéchiel).
Il est à noter que ces deux fonctions ne dépendent pas de
l'apparence des chérubins. En effet, la même fonction de
gardien est remplie par des chérubins anthropomorphes (dans le
tabernacle) et par des chérubins quadrupèdes (dans le
temple). De même pour la fonction de porteurs de Dieu
(anthropomorphes dans les visions d'Ezéchiel et
quadrupèdes dans le Psaume 18).
A ces deux fonction
vient s'ajouter une fonction plus générale, celle de
manifester la présence de Dieu : là où sont les
chérubins, là aussi se trouve l'Eternel. C'est ce que
nous avons appelé la fonction "théophanique". Elle est
liée en particulier à l'expression yoshev
hakerouvîm, mais aussi aux chérubins
brodés et gravées dans le tabernacle et le temple. On
pourrait même, de manière plus indirecte, appliquer cette
dernière fonction à tous les cas de figure. De cette
façon, les fonctions de gardiens et de porteurs de Dieu sont
deux aspects de la fonction "théophanique"
générale.
Ainsi, les chérubins gardiens de l'arche protègent
l'endroit où Dieu se manifeste de manière toute
particulière. Il en va de même pour les gardiens
du jardin d'Eden. Quant aux chérubins porteurs du
trône de Dieu, par leur fonction ils manifestent la
présence de celui qui est assis sur le trône.
En
résumé, les chérubins ont tous une fonction
"théophanique" générale, ils manifestent la
présence de Dieu. De plus, deux fonctions plus précises
leur sont attribuées parfois : celle de gardiens et celle de
porteurs de Dieu ou de son trône.
c. la
nature des chérubins
Le problème de
la nature des chérubins est plus indécis. Dans aucun des
textes bibliques nous n'avons trouvé d'indication claire sur
cette question. Les
chérubins bibliques pourraient être de réelles
créatures célestes ou de simples êtres symboliques.
S'il existe vraiment des êtres célestes qui
répondent au nom de chérubins, les images du tabernacle
et du temple, ou celles des visions d'Ezéchiel, ne sont
certainement pas l'exacte représentation des chérubins
célestes. Il y a sans doute des éléments
symboliques dans ces descriptions.
Sans pouvoir trancher
d'une manière absolue, il nous semble tout de même qu'une
compréhension toute symbolique des chérubins s'accorde
mieux aux données
bibliques. La grande variété des apparences
des chérubins, l'étroite association aux nuages
d'orage (peut- être même est-ce la trace de
leur origine comme personnification de ces nuages), l'utilisation
fortement symbolique d'Ezéchiel, reprise en partie
et remaniée dans l'Apocalypse, tous ces éléments
font plutôt pencher la balance en faveur d'une
compréhension symbolique des chérubins. A notre avis,
seule une interprétation assez littérale de Genèse
3 permettrait d'inverser la tendance. En effet, si l'on
considère le récit de la chute comme un écrit
historique stricte, où tous les éléments doivent
être compris dans son sens premier, littéral, alors il
doit en être de même pour les chérubins qui doivent
être des êtres réels. Mais pour notre part, nous
considérons que le langage utilisé dans ce récit
emprunte au langage mythologique et use du symbolique pour relater le
fait historique de la chute de l'homme. Selon cette
interprétation, les chérubins gardiens de l'arbre de la
vie peuvent très bien être des symboles.
Si les chérubins
sont des êtres symboliques, il faut en comprendre le sens.
La signification du symbole
est lié à la fonction qui est attribuée aux
chérubins, celle de manifester la présence de Dieu.
Ainsi, par les chérubins, c'est Dieu qui interdit à
l'homme le retour à l'arbre de la vie. Les chérubins du
tabernacle et du temple manifestent la présence
particulière de Dieu en ces lieux. L'expression yoshev
hakerouvîm désigne le lieu de
résidence céleste de Dieu. Et c'est dans
le cadre d'une théophanie que les chérubins portent Dieu
ou son trône. Nous proposons donc de voir dans les
chérubins des symboles de la présence de Dieu.
Pour terminer cette
synthèse nous proposons une définition des
chérubins bibliques : il s'agit d'êtres symboliques,
représentés sous la forme de créatures hybrides
ailées et dont la fonction est de manifester la présence
de Dieu, en étant porteurs de Dieu ou gardiens.
2.
Conclusion
En guise de conclusion,
nous suggérerons quelques idées de prolongements
possibles à notre travail. Il va de soi que nous ne
développerons pas ces idées qui, chacune,
mériterait une étude approfondie.
Une réflexion
sur l'art pourrait être menée à partir des
chérubins. Y a-t-il un art "religieux", opposé à
un art "profane" ? Les chérubins gravés ou
sculptés qui ornaient le tabernacle et le temple de Salomon
étaient des oeuvres d'art. C'est un art que l'on pourrait
qualifier de "religieux" puisqu'il est lié au domaine cultuel.
Or, en particulier pour le temple, Salomon fit appel aux talents
d'artistes tyriens. Comme nous l'avons vu, nul doute que la forme des
chérubins fut fortement influencée par le style habituel
de ces artistes. Et plus globalement,
nous avons vu combien l'apparence des créatures mythologiques
du Proche- Orient ancien eut une forte influence sur celle
des chérubins bibliques.
Sans entrer dans le
débat, il nous semble que ces quelques remarques permettent de
mettre en doute une distinction religieux/profane trop radicale dans
l'art. A l'instar de Salomon avec Hiram de Tyr, il est tout à
fait concevable que les chrétiens fassent appel à des
artistes non-chrétiens (musiciens, architectes, peintres...)
pour enrichir leur culte à Dieu. Sans doute à cause de la
grâce commune, des artistes incroyants sont également
capables de créer des oeuvres qui puissent glorifier le
Seigneur.
Les prophètes
sont-ils des artistes ? Cette question un peu lapidaire concerne en
fait le processus d'élaboration des visions prophétiques.
Le prophète est-il aussi actif dans ce processus, son
imagination est-elle mise en oeuvre, est-il une sorte de poète
dirigé par l'Esprit de Dieu ? Les visions d'Ezéchiel, en
particulier ses chérubins, avaient pour origine des
objets (les statues du temple) ou des phénomènes
réels (nuage d'orage). La touche personnelle du prophète
est sensible. Et nous avons sans doute là la marque de la
composante humaine dans le processus de révélation de la
Parole de Dieu.
Notre étude sur
les chérubins permet donc de percevoir que l'expression
artistique est un moyen particulièrement adéquat pour
l'homme de parler du divin, et pour Dieu de se révéler
à l'homme.
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